Manifeste pour une société écologique
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Manifeste

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L’humanité est aujourd’hui placée devant un choix qui détermine son avenir. Un choix à assumer collectivement et qui requiert l’implication de chacune et de chacun. Sous l’impact d’un système aveuglément productiviste et violemment inégalitaire, le train du progrès s’égare. Il faut de toute urgence le mettre sur une autre voie.

C’est le sens de l’engagement des écologistes et leur responsabilité, ici et maintenant : nous refusons d’assister passivement au scénario d’une nature qui s’épuise et de sociétés qui se désagrègent ; en association avec les forces vives de la société partageant l’essentiel de notre projet de transformation – qui établit un lien indissociable entre impératif écologique et justice sociale, respect de l’environnement et émancipation de l’humanité -, nous voulons tracer une nouvelle ligne d’horizon sur la base de transitions réalistes.

Le système actuel de création et de redistribution des richesses ne fonctionne plus, provoquant tout à la fois prédations du vivant et déchirures sociales, déséquilibres et discriminations, pollutions et récessions. Ce bouleversement majeur épuise les ressources aussi bien qu’il creuse les inégalités et déprime les consciences, dressant la planète contre les êtres humains et les êtres humains contre eux-mêmes. Au point que le spectre d’un collapsus historique sans précédent hante l’avenir : celui d’un déclin écologique, économique et social, brutal et simultané.

Néanmoins, une aspiration grandissante à refuser la défaite de l’humain émerge partout dans le monde.

Une multitude d’initiatives entame le modèle dominant et ouvre des voies nouvelles. C’est l’autre visage de la mondialisation et il concerne tous les peuples, toutes les cultures. De nombreux acteurs et actrices de la société et des communautés locales se mobilisent. Ils interviennent dans toutes les couches de la société. Ce sont souvent ceux et celles que la crise fragilise en premier. Ils résistent, s’organisent, innovent. Chacun et chacune à leur façon, dans leur discipline, leur quartier ou leur village, ils esquissent les contours d’une alternative porteuse d’avenir. Des hommes et des femmes luttent et s’engagent, et c’est notre espoir, notre point d’appui pour inverser le cours des choses.

Un choc sans précédent

Les résistances se construisent contre des crises qui n’ont plus de limites. Celles-ci bouleversent tous les domaines de l’environnement et l’ensemble des activités. Elles se cumulent et s’alimentent pour mettre à nu un système en déroute. Nous sommes parvenus à ce moment clé où la croissance, moteur de l’histoire moderne, a atteint la frontière du possible. L’insoutenable est là, inscrit dans les réalités physiques de la planète, la dilution des solidarités et les souffrances des populations : les modes de production et les standards de vie, indexés sur l’imaginaire de la démesure et la boulimie des privilégiés, soumis à la surenchère de la marchandisation et de l’endettement massif, entraînent une consommation de ressources excédant leurs capacités de renouvellement. La conjonction des crises provoque un déséquilibre majeur des fondamentaux de la vie et de la culture.

Les conséquences sont sans appel : les modèles économiques et les équilibres sociaux d’hier ne résistent pas aux sols qui s’épuisent, aux fleuves et aux mers qui se dépeuplent, aux forêts qui reculent et aux déserts qui avancent, aux séquences brutales d’inondations et de sécheresses consécutives au réchauffement climatique, à la disparition des biotopes et à l’érosion de la diversité des espèces, à l’empoisonnement des airs et des eaux, à la violence d’un mode d’urbanisation massif et ségrégatif.

Déjà, dans les prémices du chaos énergétique, climatique, alimentaire, migratoire et sanitaire, dans la mise à sac des biens communs et publics que les dérives financières et marchandes provoquent, un nouveau monde émerge avec ses victimes en proie au manque de tout. Parallèlement à l’émergence d’une nouvelle classe moyenne dans les pays du Sud qui accède aux standards de la consommation occidentale, source à la fois de libération et d’aliénation, une nouvelle question sociale surgit de la raréfaction des ressources vitales et de la déstabilisation des équilibres naturels que le mode de développement des pays industrialisés a engendré.

Cette injustice environnementale, aggravée par la croissance démographique, vient s’ajouter aux plaies déjà ouvertes par la machine à fabriquer des inégalités. Le cumul produit un choc inouï. Il se traduit, dans les pays du Sud, par la multiplication, à échelle massive, des cas de misère, de famine, d’épidémies, de bidonvilles, de migrations, de pénuries, de chômage, de conflits, de mal vie. Et, dans les pays du Nord, par l’extension de la précarité, le recul des solidarités, l’explosion des frustrations, des anxiétés et des détresses psychologiques.

Contre le sentiment d’impuissance

Le cours des choses est injuste et criminel. Voilà pourquoi nous voulons le changer.

Face au déferlement des crises et aux défis colossaux qu’elles impliquent, le capitalisme n’est plus capable d’opposer cette dynamique qui promettait aux peuples l’abondance universelle. Au contraire, il renforce chaque jour une logique construite sur l’endettement, la précarité de l’emploi et l’augmentation de l’empreinte écologique.

Le socialisme étatique et productiviste, de son coté, a fait tragiquement long feu, définitivement sorti de l’histoire par la confrontation au réel, ayant échoué à mettre en application ses valeurs dans l’exercice du pouvoir. Si elles affirment désormais clairement leur rejet des totalitarismes, la plupart des forces de gauche, issues du XIXe siècle, n’osent pas encore une pensée du XXIe siècle qui incarnerait enfin, de manière pleinement contemporaine, la solidarité entre les peuples et les générations, la responsabilité envers la planète, le refus des inégalités, la régulation du marché, le respect de chaque être humain. Elles oscillent entre repli sectaire et accompagnement gestionnaire.

Les deux grands courants idéologiques engendrés par la révolution industrielle, accompagnant l’un l’essor du capitalisme et l’autre l’espérance socialiste, sont désormais à bout de souffle. Malgré leurs différences, fondées sur un enracinement social historiquement opposé et des valeurs souvent contradictoires, ils se montrent pareillement désorientés sur l’essentiel, saisis d’impuissance face à l’effondrement du credo productiviste qu’ils partagent. Celui-ci ne constitue-t-il pas leur matrice commune ? Forcer la nature pour développer les forces productives, diffuser l’enrichissement, chacun à sa manière, produire plus pour consommer plus et stimuler la croissance. Une logique qui a fait ses preuves dans le grand bond en avant du développement mais qui aujourd’hui, justement, ne marche plus.

Reste un bateau ivre. Plus personne aujourd’hui n’a de prise sur le cap suivi. Les forces politiques au pouvoir, les courants de pensée dominants ne paraissent pas en état de proposer des remèdes qui soient autre chose que des béquilles d’accompagnement de la dépression. Ni de dessiner un projet de société dont la crédibilité et l’attrait survivraient aux slogans électoraux. Les pesanteurs du système, la complexité des enjeux, le désarroi des esprits, la fragmentation sociale, le poids des fétiches technologiques et des addictions consuméristes, les aliénations quotidiennes, la radicalité des décisions à prendre installent un sentiment de mal-être et d’insécurité généralisé. Alors, face au vertige, replis identitaires et réactionnaires s’affirment de plus en plus : peurs, violences, conflits, exclusions, nationalismes exacerbés, xénophobies, racismes, machismes… La tentation d’un retour aux âges obscurs frappe à la porte de la modernité.

La vérité oblige à dire que la tâche est gigantesque, tant il y a de murs qui se dressent et de fossés qui se creusent. Comment échapper à l’irréversibilité des déséquilibres déjà introduits dans la biosphère, comment interrompre la course suicidaire au productivisme sans provoquer une récession encore plus grave, comment réguler un marché mondialisé fait de milliards d’injonctions spontanées et désordonnées, comment repenser l’habitabilité d’espaces urbains gigantesques, comment maîtriser sans l’étrangler le désir propre à l’humain qui conduit l’individu à vouloir se dépasser et se perfectionner en même temps qu’à s’exonérer dangereusement des limites de la planète et de la raison, comment trier entre ce qui est possible et ce qui ne l’est plus, comment s’émanciper d’un système dont les aliénations sont plébiscitées ? Comment, au final, faire du mal un bien et transformer la crise en une chance pour la planète, les êtres humains et la démocratie ?

Certains abdiquent pendant que le plus grand nombre désespère. Une lourde chape de plomb pèse sur la société, paralysant les esprits. Chacun et chacune a le sentiment d’être engagé dans une impasse dont personne ne sait ou ne veut sortir. Pour imaginer changer d’horizon, il manque une vision du futur, un élan de ressaisissement collectif, un désir commun de révolte, la dynamique d’une espérance. L’intuition collective qu’il faut changer de modèle existe même si elle n’est pas ou peu portée par les élites. Reste à penser comment le faire et le faire vraiment.

Face à un monde fini, nous faisons le pari que les ressources de l’être humain, celles de l’intelligence et celles du coeur, elles, sont infinies.

Une offre politique alternative

Nous vivons l’époque d’une césure fondatrice. La métamorphose est possible.

Elle ne viendra pas d’en haut de manière autoritaire – ou alors ce sera probablement que le pire n’aura pas été prévenu – mais, au contraire, du foisonnement des initiatives citoyennes, pour autant qu’elles se renforcent en faisant réseau et qu’elles s’articulent avec des politiques menées sur tous les terrains, y compris institutionnels. La métamorphose a besoin d’une nouvelle force qui soit à la fois sa traduction et son débouché politique afin de dessiner, du local au global, une alternative démocratique au modèle dominant.

C’est, à ce moment de l’histoire, la responsabilité des écologistes.

L’objectif : la transformation écologique de la société.

La nouvelle offre politique de l’écologie propose de transformer progressivement les structures collectives et les comportements individuels. Elle s’applique aussi bien aux activités qu’aux habitudes, aux modes de production qu’aux manières de vivre. Elle modifie les liens sociaux autant que les consommations. Elle remet la science et les technologies au service des besoins humains

Cette mutation n’est inscrite dans aucun catéchisme doctrinaire ni manuel de guérilla. Elle hérite du poids d’un monde qui n’est pas mort, hérissé de résistances agressives qu’il faut bien affronter, tout en devant s’engager sans attendre vers l’inconnu d’un monde à peine naissant. Elle est confrontée tout à la fois au défi de rompre et de construire : il lui faut se dégager au plus vite du système dominant – le capitalisme, ses mécanismes orientés sur la valorisation du profit et son imaginaire productiviste, sans pour autant se priver des entrepreneurs – pour bâtir une société où le marché et le partage des biens communs seraient régulés par les critères écologiques et sociaux. Avec l’appui des secteurs et des mouvements sociaux concernés, les écologistes doivent donc engager des transitions où le primat de la durabilité des écosystèmes, des dispositifs économiques, des systèmes financiers, des contrats sociaux et des territoires s’affirme contre les diktats irrationnels du productivisme et les rapports de production qu’impose le capitalisme. C’est une ardente nécessité de survie pour les hommes et les femmes de ce temps, à commencer par la multitude des sans terre, des sans toit, des sans eau, des sans travail, des sans revenu, des sans avenir. C’est aussi un choix de vie pour libérer l’être humain de ce qui le tire vers le bas et le désenchante, aliène son libre arbitre et le renvoie sans cesse à sa condition de consommateur et de travailleur contraint.

L’outil : l’écologie politique.

La nouvelle offre politique des écologistes propose un lieu de rassemblement, de pensée et d’action : l’écologie politique.

Celle-ci ne prétend à aucune conception théologique de la vérité. Elle s’attache à préserver et à enrichir le bien commun et l’intérêt collectif. Pour y parvenir, les écologistes ne s’imaginent ni en parti du grand soir, ni en négociateurs des petits matins. Contre l’omnipotence du tout marché ou du tout autoritaire, nous affirmons notre exigence de transformation en assumant les inévitables conflits dans la construction de majorités d’idées et de rapports de force. La confrontation avec les intérêts qui servent et se servent du système dominant – capital financier, nucléocratie, agrobusiness, lobbies industriels et marchands…- est inévitable. Mais, pour convaincre la majorité de la société et rassembler des alliés, les écologistes privilégient la longue marche de la réforme tolérante, les compromis sur les nouvelles formes de régulation, les convergences démocratiques autour des transitions, le tissage patient des imaginations et des rêves. Passerelle entre les nécessités de la biosphère et les besoins sociaux, l’écologie politique se propose de construire l’espérance d’un nouveau modèle de développement en rassemblant les forces sociales qui y aspirent, en construisant avec elles une mobilisation qui libère les énergies, les innovations et les créativités humaines.

L’écologie politique n’est pas née d’un surgissement soudain mais de lentes maturations. Elle hérite une part de ce qu’elle porte de combats déjà anciens, et les espérances qu’elle soutient – l’émancipation, la justice, la solidarité – l’ont été déjà par différentes sensibilités des mouvements ouvriers, socialistes ou libertaires. En ceci, les écologistes n’oublient pas ce qu’ils doivent à l’histoire. Mais ils savent aussi que l’identité de l’écologie constitue une réalité irréductible aux représentations du monde qui ne sont pas les siennes et qui, souvent, la contredisent. L’autonomie politique de l’écologie n’est pas affaire de caprice ou d’orgueil. C’est sa nature.

Les écologistes sont en rupture avec le culte dominant de l’économisme, du scientisme, de la surconsommation. Nous nous opposons aux idéologies ultra-libérales ou archéo-socialistes qui s’obstinent à ignorer les raisons de la crise d’un modèle de développement pulvérisé par les faits. Nous refusons tout ce qui, comme l’envahissement publicitaire ou le fétichisme technologique, contribue à consolider l’aveuglement du sans limite dans l’imaginaire collectif. Nous nous opposons mais, dans le même temps, nous proposons notre propre cohérence.

L’écologie politique n’a pas vocation à devenir la branche supplémentaire d’un arbre déjà constitué, aussi vénérable fut-il, elle est à elle seule cet arbre, autonome, alternatif, un arbre qui entend faire forêt.

Le patrimoine : les valeurs de l’humanité

L’offre politique des écologistes s’appuie sur le meilleur de l’aventure humaine. Elle ne part pas de rien. Elle puise ses sources dans les valeurs constitutives du patrimoine de l’humanité telles qu’elles ont été conquises de haute lutte par les mouvements ouvriers, paysans, féministes, pacifistes, régionalistes et progressistes : liberté de conscience, libertés publiques, égalité des droits, notamment entre les hommes et les femmes, quelques soient les orientations sexuelles ou les identités de genre, refus de l’oppression et des discriminations, solidarité entre les personnes, les peuples et les générations, justice économique et sociale, dignité inaliénable de chaque être humain, responsabilité, autonomie et libre arbitre, respect des minorités quelles qu’elles soient, impératif de justice, primat du droit et de la démocratie, priorité à l’éducation, à la culture et à la santé, sollicitude aux autres, altruisme, non violence, laïcité, tranquillité publique, liberté de la création artistique, respect des animaux en tant qu’êtres vivants et non simples objets de production et de consommation.

Les écologistes assument l’héritage de toutes celles et de tous ceux qui ont lutté pour l’émancipation des hommes et des femmes et promu les droits de l’humain et du vivant.

Nous nous revendiquons clairement de la tradition universaliste qui considère que tout être humain, quel que soit le lieu où il est né ou la couleur de sa peau, a les mêmes droits au bonheur, à la solidarité de tous, au partage des richesses de la planète. Nous estimons que tout ce qui fragmente et divise cette commune humanité va à l’encontre du projet écologiste, et c’est pour cela que ce projet entend dépasser le cadre des Etats-nations pour construire des solidarités européennes et planétaires dans le respect des diversités culturelles et des singularités historiques. A cette fin, le projet écologiste promeut des logiques de coopération et de résolution non-violente des conflits, à l’opposé de la militarisation des relations internationales.

Au cours de décennies de luttes non violentes, les militants et les militantes du quotidien de l’écologie se sont activement opposés à la guerre, au nucléaire, à l’appropriation des terres, à la destruction de la nature, aux injustices. Ils ont remis en cause le productivisme et l’idéologie de la croissance. Avec d’autres, ils se sont mobilisés pour l’émancipation et les droits civiques. Les écologistes savent donc l’importance des rapports de force pacifiques, nécessaires à la négociation. Nous ne nous trompons pas d’adversaires, ni ne les ignorons.

La ligne d’horizon : la société écologique

Dans un monde contraint en ressources et de plus en plus fragile, il s’agit de parvenir à des relations les moins agressives possibles avec toutes les formes et les milieux de la vie terrestre, ce qui suppose une révision radicale des modes de production et de vie. En même temps, il s’agit d’évoluer vers une société d’inclusion où chaque individu puisse être accompagné et soutenu dans ses difficultés ou ses projets.

La société écologique pose les fondements d’une organisation économique et sociale d’un autre type : à la démesure, les écologistes opposent la conscience des limites et la modération ; aux mécanismes marchands, à la course au profit et aux gaspillages, une régulation fondée sur la durabilité des écosystèmes et les besoins sociaux ; à la pulsion dominatrice sur la nature, la sanctuarisation du vivant et des équilibres naturels garantissant la diversité biologique ; au dogme de la croissance infinie, la décroissance des excès ; à la gloutonnerie en énergie et matières premières, la réparation, le recyclage, la réutilisation ; à la gabegie productiviste et avare en emplois, la reconversion et la relocalisation industrielle et agricole ; à la dictature du PIB, les indicateurs de bien être, d’égalité et d’émancipation ; au libre échange planétaire, la proximité et les circuits courts ; au talon de fer de la concurrence, le commerce équitable et la mutualisation ; au travailler toujours plus, la réduction et le partage du temps de travail ; à la sacralisation de la valeur travail, la gratuité des biens fondamentaux, la valorisation du temps libre et de l’autonomie ; aux limites des minima sociaux, un revenu universel inconditionnel et personnalisé ; à la fuite en avant technologique et nucléaire, la sobriété énergétique, les énergies renouvelables et des solutions maîtrisables et décentralisées ; à l’extension de l’étalement urbain et des mégalopoles concentrationnaires, une nouvelle urbanité dynamisant le lien social ; aux méthodes uniquement répressives, des efforts systématiques de prévention ; aux dérives de l’endettement aveugle, la prudence du recours au crédit ; au règne de l’argent et de l’accumulation, la redistribution et le partage.

La société écologique établit aussi les principes d’une autre manière de vivre ensemble et avec la nature : au cynisme, les écologistes préfèrent le civisme ; à l’exacerbation des intérêts particuliers et à la privatisation systématique, l’intérêt collectif, les biens communs et les services publics ; à l’affrontement, la négociation et la conciliation ; à la violence de la domination masculine, l’égalité des femmes et des hommes dans tous les domaines; à la cure et au tout médicament, la prévention et l’éducation à la santé ; à l’épidémie des maladies de civilisation, la protection de la qualité de la vie ; à l’opposition entre les générations, la coopération intergénérationnelle ; à la compétitivité, l’accomplissement personnel ; à la concurrence, la coopération ; à l’appropriation individuelle des biens, leur usage fonctionnel ; à l’extension infinie des consommations, des déplacements et des privilèges, le bien être collectif et individuel ; à l’effervescence scientiste et à l’illusion technologique, le principe de précaution ; à l’artificialisation des territoires et des relations, la familiarité, la convivialité et de nouvelles formes de famille et de vie partagées ; à la standardisation, la diversité.

La société écologique mise, enfin, sur l’éducation et la formation tout au long de la vie. En opposition au taylorisme qui isole chacune et chacun dans une tâche reproductible et déresponsabilisante et au post-taylorisme qui, au prétexte d’autonomie et d’individualisation, renforce l’aliénation et la concurrence entre les personnes, elle affirme et privilégie la promotion de collectifs qui assument ensemble et de manière solidaire des projets partagés. Contre toutes les formes de fatalité et d’assignation à résidence, à l’opposé de la conception d’une école toujours plus standardisée qui trie et classe définitivement les individus, la société écologique propose d’offrir à chaque être humain un accès à la mobilité ouvrant sur des possibilités d’apprendre, de progresser et de s’engager dans de nouveaux projets.

Au final, en choisissant une autre hiérarchie des valeurs sans faire table rase du passé, en imaginant un autre monde qui soit aussi de ce monde, la société écologique concourt à une métamorphose de la civilisation. Elle privilégie la suprématie de l’être sur la domination de l’avoir, la liberté du sujet sur le conditionnement du consommateur et du travailleur. Elle favorise le mieux par rapport au plus, promouvant ce qui est nécessaire à tous et à toutes, encourageant ce qui élève, ne sacrifiant plus le long terme aux caprices du présent.

En même temps, la ligne d’horizon d’une société écologique bouscule et déborde les repères favoris des deux grands courants de gauche et de droite qui ont façonné l’opinion. D’un coté, elle étend la sphère de la solidarité à l’ensemble des populations du Sud, à toutes les formes du vivant et aux générations futures. De l’autre, elle élargit le principe de responsabilité individuelle en devoir personnalisé de comportement respectueux des biens collectifs et de l’environnement. Elle interpelle la droite comme la gauche pour libérer le concept de développement des chaînes productivistes qui le dénaturent et des aliénations qui le broient. Conjuguant innovation et tradition, radicalité et précaution, nature et société, le projet écologiste concourt au dépassement des catégories progressistes et conservatrices qui, jusqu’à présent, ont monopolisé l’histoire.

Le créneau est étroit. Entre progrès soutenable et décroissance sélective, universalisme et diversité, initiative et régulation, liberté et responsabilité, il s’agit de requalifier le progrès en lui donnant le sens de l’humain et du vivant. En l’incarnant d’ores et déjà politiquement dans un projet et des transitions dont élus et associations écologistes posent les prémisses dans l’exercice de leurs responsabilités.

Un projet en ruptures

Les chantiers du projet écologiste sont immenses : établir les conditions d’un bien être équitable et respectueux de l’environnement autour du principe de transformation écologique de l’économie et de la société. Cela implique de revisiter de fond en comble les conceptions de la richesse, du travail, de la fiscalité, de la production industrielle et agricole, du commerce, des services, de la consommation, de la mobilité, des transports, de l’alimentation, de l’habitat, de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire… La conséquence est radicale : la logique dominante d’une augmentation aveugle et systématique de l’offre économique cède la place à une régulation de la demande en fonction des contraintes environnementales et des besoins sociaux.

En même temps, face aux discriminations et aux ségrégations socio-économiques, sexistes, ethniques et religieuses, face à la crise institutionnelle et à la remise en cause des libertés publiques, des contre-pouvoirs et des espaces de médiation, il s’agit de développer de nouvelles proximités pour retrouver du lien et du sens collectif, de mettre l’action publique au service de l’intérêt général, de redonner une nouvelle vigueur à la démocratie. Il s’agit aussi d’inverser la courbe du chômage, du sous emploi, des précarités et des inégalités, d’interrompre la course à l’endettement privé et public, de réduire les déficits budgétaires et sociaux en créant les conditions d’un partage du travail, des ressources et des richesses. Enfin, face à l’égoïsme et à l’incapacité des Etats nationaux, liés, en France, à un centralisme rétrograde et, chez beaucoup d’autres, à un souverainisme exacerbé, il faut donner toutes leurs places aux Régions sur la base d’un fédéralisme différencié. Et construire en même temps une Europe fédérale, démocratique et sociale, laquelle, plus que jamais, reste l’échelon pertinent pour la mise en œuvre de tout projet majeur de transformation tout en repensant les modes de gouvernance mondiale.

Un projet partagé

Il appartient à l’écologie politique de rester en permanence à l’écoute et d’ouvrir l’élaboration de son projet à tous les acteurs et actrices sociaux, partis, élus, syndicats de salariés et professionnels, entrepreneurs, enseignants, formateurs, militants associatifs, chercheurs, intellectuels. Elle doit continuer à se faire l’écho de pratiques écologiques qui sont déjà et qui vont devenir de plus en plus l’affaire de tous. En effet, étant donné sa complexité et son ampleur, la mutation écologique de la société ne deviendra effective que si elle est partagée et mise en œuvre par le plus grand nombre. La contradiction des intérêts particuliers, exacerbée par l’extrême fragmentation du corps social, n’a de chances d’être dépassée que si l’ensemble des forces vives de la société s’approprie l’objectif commun et parvient à des compromis dynamiques. La co-élaboration du programme de mutation doit rester constitutive de la démarche de l’écologie politique.

Un projet singulier

L’originalité du projet écologiste ne tient pas seulement à son processus d’élaboration. Depuis son émergence il y a près d’un demi siècle, l’écologie politique porte un projet alternatif aux visions traditionnelles qui aujourd’hui se fracassent sur la réalité des crises dans la mesure où celles-ci ne s’interrogent pas sur la compatibilité des activités humaines avec les limites de la planète. Ce projet s’inscrit sur un autre registre que celui qui soumet tout choix politique au curseur du libéralisme ou de l’étatisme alors que les questions d’aujourd’hui appellent des réponses dépassant les catégories historiquement figées. L’analyse et les propositions écologistes se situent radicalement hors des postures politiques qui n’ont pas pris la mesure du basculement de l’époque.

Un projet global

L’heure est venue de convaincre plus largement que l’écologie est autre chose qu’une niche spécialisée ou une thématique parmi d’autres. L’écologie est une manière nouvelle de regarder toutes les questions, et d’y apporter des réponses neuves. C’est une représentation différente du monde, une autre manière de le penser et d’agir pour le transformer. C’est, plus exactement, une réponse politique ajustée à l’écosystème fragile de la planète. Cette réponse ne peut être que globale. Il n’y a pas d’activités, de disciplines ou de secteurs qui échappent au prisme de l’impératif écologique et social. Les écologistes doivent donc se montrer capables d’impliquer la majorité de la société dans leurs propositions en matière d’emploi, de logement, d’éducation, de santé, de tranquillité publique, d’égalité des hommes et des femmes, de culture…

Un projet désirable

Original, singulier et global, le projet écologiste l’est par nature. Il doit aussi se montrer désirable afin de conquérir les cœurs et les esprits pour emporter des majorités démocratiques. Créateur de lien social et d’emplois (notamment par le partage du travail, la reconversion des activités dans le sens du durable, la création d’emplois « verts » et le développement massif d’une économie sociale et solidaire), soucieux d’équité et de solidarité, partisan d’un rapport apaisé aux autres et avec le reste de la nature, porteur d’un mode de vie harmonieux, décidé à donner un autre visage au développement, il a tout pour le devenir.

Il appartient donc aux écologistes de montrer, y compris par leur attitude, qu’ils ne sont ni des pères fouettards ni des donneurs de leçons. Et que la vie, avec l’écologie comme colonne vertébrale, n’est pas une addition de frustrations. En cela, les écologistes ne renonceront jamais à convaincre que, si l’on ne naît pas écologiste, on peut le devenir. Choix de raison – la conscience des limites plutôt que la démesure -, le projet écologiste doit aussi devenir un choix de cœur – le mieux être et le bien vivre plutôt que le « toujours plus mais jamais assez » pour les uns et le « trop peu » pour les autres -.

Un projet responsable

Les écologistes sont ni plus ni moins des hommes et des femmes ordinaires. Mais les événements du monde leur confèrent désormais une responsabilité majeure. Il leur faut donc construire un projet responsable, dans la rigueur des faits, la vérité des chiffres et l’ancrage au réel. Il ne s’agit pas de se payer de mots et de consentir aux conduites magiques à coups de « y’a qu’à » mais, au contraire, de se confronter avec les aspérités du terrain et les complexités du travail de conviction. Questionnement permanent des dogmes, examen des présupposés, doute méthodique à l’égard de ses propres convictions, identification précise des enjeux, détermination d’étapes clés transitoires, la méthode ne doit accepter aucune facilité ou raccourci afin de formuler des propositions crédibles, réalistes et opérationnelles.

Cette crédibilité, l’écologie politique la gagnera notamment sur les questions fiscales et budgétaires. La solidarité et l’égalité par le haut pour tous et toutes est une question de choix et de priorités, pas d’une croissance permanente de moyens.

Une stratégie partenariale

La mutation écologique et sociale de la société ne s’imposera ni par le glaive, ni seulement par les élections. Elle se développera par la conviction emportée d’une majorité de citoyens et citoyennes, par une mobilisation du plus grand nombre dans des instances démocratiques renouvelées.

Sans appropriation collective des objectifs de la transformation, l’espérance de changement restera en effet un projet mort-né. L’écologie oblige à des révolutions coperniciennes à tous les niveaux des structures économiques, sociales et institutionnelles. Par leur ampleur, elles nécessitent le soutien de larges majorités partageant les exigences d’un changement de cap radical. S’il veut réussir, le projet écologiste doit donc inter agir avec l’ensemble du corps social, en épousant ses différenciations et sa diversité, en s’appuyant sur les forces sociales qui sont aujourd’hui les victimes du système : ouvriers, employés, techniciens en proie à la précarisation, travailleurs des services publics démantelés, fonctionnaires transformés en boucs émissaires, paysans otages de l’agrochimie et de la grande distribution, artisans déclassés, ingénieurs et chercheurs bridés, entrepreneurs pris au piège de la rentabilité financière…

La mutation doit aussi s’incarner dans les manières d’être et de vivre de chacun, sans laisser croire que l’effort est réservé aux autres. Autrement dit, si les gestes quotidiens n’accompagnent pas les réformes, si la révolution des comportements individuels ne relaie pas les bouleversements structurels, si les attitudes et les réflexes se crispent au lieu de se modifier, si les imaginaires restent colonisés, la mutation échouera. Le projet de l’écologie politique a besoin de l’implication en actes de chacun et chacune. Sa complicité avec la société et les individus est décisive.

A droite, à gauche ou au centre, beaucoup se disent maintenant convaincus de l’importance de la question écologique. C’est un effet spectaculaire de l’impact de la crise. Les écologistes n’ont pas de raison de douter de la sincérité des évolutions individuelles. Ils s’en réjouissent même. Mais force est de constater que, dans les programmes et les décisions des formations de droite, de gauche ou du centre, l’intégration de la question écologique apparaît plus comme une posture d’opportunité, une concession à l’air du temps, que comme un véritable tournant.

Dans les mouvements libéraux, conservateurs, sociaux-démocrates ou d’inspiration marxiste, la problématique écologique reste généralement perçue comme relativement secondaire, une catégorie parmi d’autres, un secteur d’intervention supplémentaire qu’il s’agit d’ajuster sans faire obstacle à l’orientation prioritaire, à savoir les politiques de stimulation de la croissance à des fins de redistribution en direction de leurs bases sociales. Fossilisés par leur histoire, ils se refusent à accomplir une mue qui les montrerait nus.

L’écologie politique a donc toute raison de revendiquer son autonomie, refusant de devenir une force d’appoint assignée à la sous-traitance ou au supplément d’âme. Mais autonomie n’est pas isolement. Les écologistes ne sont pas seuls au monde. Il nous faut donc construire des majorités d’idées en cherchant en permanence des partenariats avec d’autres forces politiques et plus largement avec les organisations et les mouvements sociaux concernés, à travers des pactes ponctuels, sectoriels ou régionaux, démarche pouvant se prolonger jusqu’à conclure des accords de gouvernement ou de mandature.

Partout où ils sont, les écologistes ne se contentent pas de dire qu’il faut changer la société, ils le font concrètement, pas à pas : ils le font depuis longtemps dans leurs différentes familles historiques (politique, associative, mouvementiste), ils le font par leurs engagements sur le terrain et par leurs élus qui ont démontré et démontrent chaque jour comment la volonté politique peut permettre d’atteindre des résultats concrets qui commencent déjà à changer la vie au quotidien et qui tissent les modèles sur lesquels des politiques plus globales peuvent s’enraciner.

Avec qui engager des partenariats ?

A priori personne n’est exclu. Les écologistes n’exigent aucun passeport idéologique si l’accord intervient sur l’essentiel du projet de société. Mais le poids de l’histoire et la réalité politique obligent à constater que l’attachement des partis de droite aux formes les plus sauvages du libéralisme, vecteur privilégié de l’approfondissement des crises, dogme idéologique et système économico-social rigoureusement incompatibles avec la mutation écologique, rend les rapprochements impossibles. Les écologistes seront toujours disponibles pour appuyer toute mesure qui irait dans le bon sens, quels qu’en soient les protagonistes, mais ils ne se laisseront jamais enfermer dans des opérations de dilution de leur projet dans les méandres du capitalisme vert.

L’écologie politique est donc conduite à envisager ses alliances avec la social-démocratie et les partis qui se réclament de la gauche. Cela ne va pas de soi. Certes, des sensibilités voisines sur les questions de droits humains et de justice sociale, confortées par des complicités militantes et des proximités historiques, ont conduit les écologistes à collaborer souvent étroitement avec les forces de gauche. Des valeurs se croisent, des objectifs convergent. L’écologie politique ne sera jamais neutre vis-à-vis du clivage droite-gauche quand il s’agit de choisir entre des politiques qui favorisent les privilégiés et celles qui se préoccupent des démunis.

Pour autant, les écologistes et les gauches ne sont pas des alliés naturels. Ils n’ont pas le même ancrage historique et ne s’inscrivent pas dans le même horizon. Marqués comme la droite au fer rouge du productivisme, fascinés par ses fétiches et ses addictions, la social-démocratie et les courants marxistes restent éloignés de l’essentiel du paradigme écologiste. Les écologistes souhaitent les convaincre de changer d’orientation. Mais ils n’ont pas vocation à épouser une doctrine qui n’est pas la leur en y introduisant un peu de vitamine verte.

Le champ de la discussion et des convergences est donc ouvert ainsi que l’indiquent de nombreux signaux venus des rangs de gauche. Mais les frémissements ne font pas une politique et, de la parole aux actes, le changement de cap reste à démontrer. En l’état actuel des projets respectifs, l’écologie politique n’est pas candidate à une union de la gauche où son identité se dissoudrait. Elle est néanmoins prête à des contrats de partenariats avec les gauches disposées à aller aussi loin que possible vers la transformation écologique et sociale de la société.

Dans cet esprit, conscients de leurs responsabilités face aux enjeux du 21ème siècle et de l’urgence à agir, les écologistes, réunis en Convention à Lyon le 13 novembre 2010, ont décidé de s’unir dans un nouveau mouvement politique. Forts des parcours de chacun, de leurs histoires singulières et des différences de sensibilité qu’ils souhaitent additionner, ils veulent mettre cet outil collectif au service du projet de transformation écologique et sociale de la société afin de réunir les conditions d’une métamorphose de la civilisation.